« Il ne m’écoute pas ! »
« Elle ne me parle plus… »,
« Il ne fait jamais ce que je lui demande. »
« Je sais qu’elle fait exprès de m’énerver et ça l’amuse beaucoup ! ».

Ainsi commence souvent la consultation avec un parent d’adolescent. « Non non, la thérapie ce n’est pas pour moi, c’est pour lui ! », me disent-ils convaincus, tout en m’exprimant leur propre détresse face à leur enfant qu’ils ne comprennent plus. Jeune fille rebelle ou garçon silencieux, l’adolescent interpelle et bouscule les certitudes de ses parents. Pourquoi l’adolescence correspond-t-elle à une rupture dans la communication parent-enfant ? Comment maintenir le dialogue ? Pour les parents, les premiers éléments de réponse sont à rechercher avec empathie, c’est-à-dire dans une volonté de comprendre ce que vivent alors ces adultes en devenir.

“ Le deuil de l’enfance s’accompagne de celui des images parentales idéalisées.”

Dès la période dite de latence (6–7 ans à 11–12 ans), l’enfant se détache progressivement de ses parents au profit de son groupe de pairs. Bien qu’ils soient en arrière-plan, les parents demeurent des interlocuteurs privilégiés, ils obtiennent encore des réponses à leurs questions : « Qu’as-tu fait à l’école ? Qui sont tes amis ? ». C’est à la préadolescence (11–13 ans), notamment avec l’arrivée de la puberté, que l’enfant cesse d’inclure ses parents dans son monde intime, et cette coupure ne peut s’effectuer que par une opposition plus ou moins bruyante aux figures parentales.

L’adolescence (13–18 ans) est une période critique et représente une lourde tâche pour celui qui la traverse. Elle correspond à un travail de structuration identitaire, un passage complexe et mouvementé vers l’âge adulte.

De fait, l’arrivée de la puberté exige de l’enfant qu’il s’approprie un corps nouveau, changeant, qui lui semble parfois étrange et incontrôlable. Il est donc d’emblée physiquement contraint de faire le deuil de son univers d’enfant, qui lui a souvent été confortable, et dans lequel ses parents occupaient une place souveraine. Le deuil de l’enfance s’accompagne de celui des images parentales idéalisées : les parents deviennent profondément humains, avec leurs failles, leur humour qui ne fait plus du tout rire, leurs défauts qui deviennent intolérables. Aussi sont-ils donc souvent critiqués, ce qui est certes douloureux pour eux mais aussi pour l’adolescent qui réapprend à les aimer.

“ Bien qu’il revendique le contraire, l’adolescent recherche ces limites pour se construire, et ne pas les poser reviendrait à le laisser tomber.”

L’adolescent s’oppose à ses parents dans le but nécessaire de s’en séparer. Il se centre sur lui, et à juste titre, car il doit désormais construire sa propre identité. « Qui suis-je ? ». L’insistance, voire le harcèlement de certains parents peut être vécu comme une atteinte à sa personnalité, comme une intrusion dans cet espace personnel qu’il tente difficilement de délimiter. Il ne se comprend pas lui-même, et pourtant ses parents entendent souvent ce cri du cœur « Tu ne me comprends pas ! ». L’adolescence est une période de paradoxe, où l’enfant cherche à se séparer de ses parents, mais craint que ceux-ci ne l’abandonnent.

C’est pourquoi il est indispensable que les parents demeurent les garants d’une stabilité que l’adolescent n’a plus. Ils doivent poser des limites : ne pas se laisser insulter, exiger des réponses aux questions pratiques telles que les devoirs scolaires ou l’heure à laquelle il rentre après une sortie. Bien qu’il revendique le contraire, l’adolescent recherche ces limites pour se construire, et ne pas les poser reviendrait à le laisser tomber. Il teste continuellement ses parents, et derrière ses comportements défiants, il ne cherche qu’à s’assurer que ceux-ci sont bien présents, fidèles à leur poste.

Par ailleurs, les parents doivent au quotidien faire preuve de souplesse : leur « bébé » commence à s’affirmer, et souvent en contraste avec leurs propres convictions. Le style vestimentaire par exemple, doit être toléré, s’il n’est pas trop provocateur. On peut donner son opinion (souvent les sourcils froncés), mais en laissant à l’adolescent une marge de manœuvre pour exprimer ses nouveaux intérêts, ce nouveau « moi » auquel il s’essaye, fier et enthousiaste.

“ Aux parents de laisser une porte ouverte au dialogue, de montrer qu’ils peuvent écouter, et surtout entendre.”

L’adolescent parle moins, mais quand il s’adresse à ses parents, — une parole, une attitude, un geste -, il s’attend à être écouté. Il s’agit donc de saisir les opportunités de dialogue afin de lui signifier que l’échange, même s’il est moins fréquent, demeure possible, parfois même agréable ! Aux parents de se montrer disponibles et réceptifs au partage, quel que soit le sujet. « Je ne pourrai jamais en parler à mes parents ! » pense-t-il. Et bien si, seulement si ceux-ci ne l’accablent pas aussitôt de leurs yeux écarquillés et de leurs reproches, ce qui le contraindrait à rester dans le silence. Aux parents de laisser une porte ouverte au dialogue, de montrer qu’ils peuvent écouter, et surtout entendre.

Lourde tâche également donc pour les parents, qui doivent tolérer cette distance que leur adolescent revendique. Eux-mêmes ont souvent l’impression qu’ils perdent un amour qu’ils pensaient acquis. Attention à ne pas transmettre cette angoisse parfois intense, car l’adolescent aura l’impression qu’il doit combler leur vide affectif. De même, il ne s’agit pas de le « laisser partir » brutalement (« Tu es un homme maintenant. »), car malgré ses nombreuses revendications d’indépendance, il a encore, et plus que jamais, besoin d’eux.

Oui, ils marchent sur des œufs, ces parents qui doivent permettre à leur enfant de devenir, peu à peu, un adulte responsable et indépendant. Car pour ce faire ils doivent tolérer l’espace transitoire du « oui mais non », du « fais-moi un câlin — mais laisse-moi tranquille ! », grâce auquel l’adolescent se détache, s’éloigne et se construit, tout en sachant qu’il peut retourner, quand il en a besoin, à des piliers stables qui le soutiennent et le protègent.

“ L’isolement, c’est-à-dire l’absence prolongée de toute communication, doit inquiéter car elle est souvent synonyme de souffrance.”

Si l’adolescence est une période critique, on ne doit pas lui attribuer tous les maux. Certains ados demeurent insondables, et ce malgré de nombreuses invitations au dialogue. L’isolement, c’est-à-dire l’absence prolongée de toute communication, même avec les pairs, doit inquiéter car elle est souvent synonyme de souffrance. Les parents sont inquiets et frustrés car malgré leurs efforts, leur adolescent ne parle toujours pas. Une consultation thérapeutique s’avère alors utile, voire indispensable pour rompre le silence. Si l’adolescent ne communique pas, c’est parfois simplement car il lui est difficile de s’écouter lui-même, de se comprendre et de mettre en mots cette tempête qui le traverse. Le professionnel pourra alors lui assurer un espace d’écoute bienveillant, mais aussi une médiation nécessaire entre lui et ses parents, afin que le dialogue demeure possible et toujours constructif.